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jeudi 19 février 2015

Jeux vidéo : cachez ces notes que je ne saurais voir

Encore un article vu sur lemonde.fr :

Jeux vidéo : cachez ces notes que je ne saurais voir
Le Monde.fr | 18.02.2015 à 17h08 • Mis à jour le 18.02.2015 à 18h38 | Par William Audureau


Le nouveau système de notation d'Eurogamer. EUROGAMER


Le 10 février, sans crier gare, le site anglais Eurogamer a abandonné son classique système de notation de zéro à dix points, remplacé par trois badges : « recommandé », « essentiel » et « à éviter ». Ce qui n'aurait pu relever que d'un changement de formule a été relevé par de nombreux sites spécialisés, d'ArsTechnica aux Etats-Unis à Gameblog en France, et vient poser une question récurrente : faut-il noter les jeux vidéo ? En apparence bénigne, elle interroge l'essence de ce média, écartelé entre son héritage d'objet juvénile, son existence première comme objet de consommation, et ses demandes répétées à une reconnaissance artistique.

Qu'est-ce qu'une note dans un « test » de jeu vidéo ?

Il s'agit tout simplement d'une appréciation chiffrée de la qualité du jeu, souvent apposée en fin de texte pour en résumer l'esprit. Elle est le plus souvent sur 10 aux Etats-Unis, sur 20 en France et sur 100 en Allemagne, mais de nombreuses variantes existent au sein d'un même pays. Le site Gameblog évalue les jeux sur 5, Gamekult sur 10, Jeux Vidéo Magazine et JeuxVideo.com sur 20, et feu le magazine Console + est longtemps resté le dernier héritier d'une décennie, les années 1990, où la note en pourcentages était la norme. 

Note en % dans Console +, 1991.


De quand datent les notes ?

Elles sont presque aussi vieilles que la presse spécialisée : dès le premier âge d'or de l'arcade, entre 1979 et 1982, des revues américaines pour professionnels comme Replay et Play Meter adjoignent une note sur dix aux bornes d'arcade qu'ils essaient, afin de mieux conseiller leurs clients, essentiellement des gérants de salles de machines de jeux. Dans la foulée, Electronic Games en 1981 introduit un système similaire. De manière plus rudimentaire, le premier magazine de jeu vidéo français, Tilt, embrasse des notes sur cinq en astérisques pour son numéro de lancement en 1982. Son concurrent Gen 4 popularisera la formule sur 100.

Quels sont les systèmes de notation les plus célèbres ?

En Angleterre, le très prestigieux magazine Edge évalue les jeux sur dix, sans virgule, souvent sur des critères atypiques, en privilégiant les mécaniques et l'originalité à l'aspect technique. En vingt et un ans d'existence, la revue a accordé dix-sept 10/10. Super Mario 64 a été le premier, en 1996. Au Japon, le magazine Famitsu agrège quatre avis individuels sur dix en une note collective sur 40. Là encore, les 40/40 ont longtemps fait figure d'événements. Seuls The Legend of Zelda : Ocarina of Time, Bayonetta et The Legend of Zelda : Skyward Sword ont reçu la note maximale dans les deux revues.
En France, aucun média n'a cette notoriété à l'étranger, mais au niveau national, le site Gamekult s'est fait connaître pour ses jugements sévères, au point de donner naissance à un mème, « C'est 7 », en référence à la note régulièrement attribuée à des jeux à très gros budget, comme Halo. En dix ans, le site n'a jamais accordé de note maximale.



Ces notes ont-elles vraiment des conséquences ?

Commercialement, rien ne permet de l'affirmer avec certitude. En revanche, l'émergence au milieu des années 2000 d'agrégateurs de notes comme Metacritic a conduit les éditeurs de jeux à ajuster les primes versées aux studios de développement à la note moyenne obtenue sur ces agrégateurs. Par exemple, un détail du contrat fuité liant Activision aux développeurs du jeu de tir Destiny, Bungie, évoque un bonus de 2,5 millions de dollars si celle-ci atteint 90 sur 100 – ce qui ne sera pas le cas.


Note Metacritic de Destiny peu après son lancement

Outre que les conséquences financières peuvent être fatales pour un studio, le calcul comporte de très nombreux biais, à commencer par les différences culturelles entre pays (les sites français sont souvent plus sévères) et le mode de calcul – toutes les notes étant rapportées sur 100, un 4/5 enthousiaste devient un 80/100 sur Metacritic, correspondant à un jeu correct sans plus.

Existe-t-il des systèmes de notation alternatifs ?

A la marge, oui. C'est par exemple ce que fait la rubrique Pixels du Monde.fr, en proposant à chaque fois un barème parodique différent. Mais l'idée n'est pas nouvelle, et dès 2004, dans Game Fan, un ancien journaliste spécialisé, Chazumaru, s'était amusé à noter Metal Gear Solid 3 : Snake Eater en fréquences de radio, manière de pervertir de l'intérieur les cadres habituels de la critique de jeu vidéo tout en rendant hommage aux nombreuses mises en abîme et effets de réel de la série, qui utilise elle-même des fréquences de radio pour communiquer avec certains personnages.
Plus loin de nous, dans les années 1990, le rédacteur en chef de Nintendo Player avait longtemps refusé de noter les jeux, avant de céder à la pression des lecteurs, et d'adopter un système parodique, une évaluation sur six champignons. 


Note en champignon dans Nintendo Player, 1995.

Y a-t-il des critiques de jeu vidéo sans notes ?
Oui, et ce depuis au moins le début des années 2000. Dans le monde anglophone, un courant rapidement baptisé « New Game Journalism » (le « nouveau journalisme jeu vidéo ») oppose à une approche chiffrée consumériste de longs textes narratifs et expérimentaux, mettant l'accent sur l'expérience du joueur davantage que sur de supposées qualités techniques objectives du produit testé. Il y a eu des tentatives de l'importer en France, notamment à travers les articles de Tristan Ducluzeau dans Joypad et Chronicart, ou le projet de magazine sans note Game Select, en 2005, finalement avorté.
Toutefois, des critiques impressionnistes d'Olivier Séguret dans Libération à l'approche déconstructiviste de Martin Lefebvre sur le site indépendant Merlanfrit,  toute une littérature parallèle s'est depuis développée, et si elle diffère en de nombreux points de style, d'approche et de sensibilités, elle se rejoint dans la volonté d'adapter la langue au jeu vidéo, afin d'en dire le charme et la spécificité, plutôt que de le réduire à de scolaires notes sur 20. Du moins c'est la théorie. Car après tout, la critique œnologique réussit bien à concilier les deux.

William Audureau 
Journaliste au Monde


« FIFA », le jeu de football devenu produit culturel le plus vendu en France

Bonsoir,

Un article sympa vu sur lemonde.fr :

« FIFA », le jeu de football devenu produit culturel le plus vendu en France
La série de simulation sportive développée par Electronic Arts s'est cherchée pendant plus d'une décennie avant de devenir une machine commerciale.

Le Monde.fr | 17.02.2015 à 18h15 • Mis à jour le 18.02.2015 à 15h47 | Par William Audureau

Ce soir, à 21 h 30, quand l'arbitre sifflera la mi-temps des huitièmes de finale aller de la Ligue des champions entre le Paris Saint-Germain et Chelsea, il seront plusieurs millions à rejouer le match à l'affiche, manettes en main, durant quinze petites minutes.

En matière de football virtuel, deux jeux reviennent inlassablement : Pro Evolution Soccer (PES), qui dispose de la licence officielle de la prestigieuse compétition et FIFA, qui s'appuie sur celle de la puissante fédération internationale. Ce dernier s'est imposé depuis quelques années comme la nouvelle référence en matière de jeux de football.
Entre 2010 et 2013, ses ventes ont doublé, passant de 6 à 12 millions d'exemplaires dans le monde. Il s'agit même du produit culturel le plus vendu en France en 2014. Selon le classement annuel de l'institut GFK, avec près d'1,3 million d'unités écoulées depuis sa sortie en septembre 2014, FIFA 15 a largement supplanté le chanteur Stromae (680 000 disques), le jeu de tir Call of Duty Advanced Warfare (910 000 boîtes de jeu), et même La Reine des neiges, le film d'animation à succès de Disney (938 000 DVD ou Blu-Ray).

Ligue des Champions, pizzas et YouTube

A première vue, la série des FIFA est pourtant moins médiatique qu'un dessin animé ou un tube musical. Mais outre les soirs de Ligue des champions, où elle sert de traditionnel digestif aux pizzas englouties, la simulation de football est extrêmement présente sur Internet, où l'éditeur américain Electronic Arts publie chaque semaine sur YouTube une compilation des plus beaux buts marqués par les utilisateurs. La première livrée de l'édition 2015 a été regardée plus d'1,8 million de fois.



Reprenant une idée lancée par son concurrent Konami avec PES dans les années 2000, Electronic Arts chapeaute également un championnat de France officiel, constitué de 70 événements organisés en partenariat avec six clubs majeurs de Ligue 1. L'éditeur revendique 7 000 adhérents. Profitant du vent de popularité de l'e-sport, sa finale a même eu droit à une diffusion en direct sur le site sportif Lequipe.fr. Elle a été vue 50 000 fois.
Signe de ce bouillonnement communautaire, de nombreuses associations et sites d'organisation de tournois amateurs se sont créés, comme fifa-tournois.com, legend-fifa.com, fifaversus.com, ou le sémillant SC Moustache.

Une simulation calquée sur la réalité

FIFA n'est pas qu'un phénomène d'e-sport. C'est aussi une impressionnante machine à abattre les cloisons entre réel et virtuel. Grâce aux fonctions réseaux des nouvelles machines, sa mouture 2015 propose chaque semaine des affiches calquées sur le calendrier officiel, des équipes mises à jour en fonction des résultats du week-end, et des joueurs dont la forme évoluent en fonction de leur modèle.

Au point que les joueurs en savent autant sur la réalité que l'éditeur sur les comportements de ses clients. « Nos statistiques nous le disent, il y a deux pics de connexion aux serveurs de FIFA, révélait en octobre son producteur Enrique Sebastian. Le dimanche, et les jours de Ligue des champions à la mi-temps. »
Pour Electronic Arts, c'est également toute une économie de la collecte de données « Nous avons des tonnes de données, ce qui est très utile dans notre relation avec les clubs, ils veulent connaître leurs supporters et savoir où ils se trouvent. » Exemple : le jeu dénombre 1,44 million de fans de Manchester United, dont une importante communauté en Californie, à la surprise des joueurs.

Le coup de pouce de la coupe du monde 1994

Captures d'écran des premiers prototypes de FIFA, avant 1993. DR/MCVUK.COM

Ironie du sort, la série des FIFA a mis des décennies à atteindre ce niveau de reconnaissance. Deux, exactement : son premier épisode est sorti en 1993, et à l'époque, il faut un concours de circonstance du calendrier sportif pour convaincre l'éditeur américain de Madden et NHL, respectivement une simulation de football américain et de hockey sur glace de s'intéresser à un sport aussi européen.
Reprenant un prototype de jeu de beach volley, deux développeurs anglais indépendants, Jules Burt and Jon Law, sont néanmoins missionnés pour réaliser le premier prototype du jeu, relate MCV UK. Rapidement, ils abandonnent leur première idée de caméra, en vue de coupe, pour un plan large qui séduit Electronic Arts. Le projet est d'abord nommé « EA Soccer », avant de prendre le nom de la Fédération internationale de football.
« Le jeu s'appelait FIFA International Soccer mais chez Electronic Arts, en interne, les gens ne savaient même pas ce que c'était que la FIFA, confie au Monde.fr Marc Aubanel, producteur de la série de ses débuts jusqu'en 2006. Ceci étant, personne n'avait encore acheté leur licence et ils préparaient l'organisation de la coupe du monde de 1994 aux Etats-Unis, alors les responsables d'EA se sont dit : pourquoi pas ? »
L'éditeur les embauche pour piloter le projet au sein d'une équipe dédiée, à Vancouver (Canada). A sa sortie, le premier épisode est très remarqué en Europe, avec son ambiance réaliste, ses nombreux championnats et ses statistiques fouillées qui feront l'identité de la série.

Balbutiements

Pourtant, pendant plus d'une décennie, la série se cherche. Sur 3DO, une console sortie peu de temps avant la PlayStation, le rendu n'a même aucun rapport avec le jeu que l'on connaît aujourd'hui : la caméra tourne sans cesse autour des joueurs pour montrer qu'ils sont en trois dimensions, quitte à rendre les parties injouables, et à la fin des matchs, ce sont des ralentis des plus beaux buts de la coupe du monde 94 qui sont diffusés, non ceux que le joueur a marqués.




Encore à ses balbutiements, la série découvrait en fait la 3D et le support CD.« On était comme des mômes dans un magasin de jouets, on faisait joujou avec tout ce qui passait », reconnaît Marc Aubanel, amusé.
FIFA commence à prendre de l'importance dans la seconde moitié des années 1990, sur PlayStation. David Ginola puis Thierry Henry prêtent leur image à la marque. Mais tandis que certains au sein de l'équipe militent pour s'orienter vers plus de simulation, le producteur de l'époque défend une approche plus décomplexée du football, avec du football en salle, des codes pour donner aux joueurs des têtes énormes, etc. Certains épisodes permettent même de plonger pour obtenir une faute, ce qui vaudra à l'équipe un coup de téléphone furieux de la FIFA.

Le virage des années 2000

PES 6 s'était écoulé à 1,6 millions d'exemplaires en 2005-2006. KONAMI

Pendant que les équipes d'Electronic Arts Vancouver maintiennent le cap d'un jeu de football assez léger, Pro Evolution Soccer s'impose comme la référence absolue en matière de réalisme footballistique. Sur PlayStation 2, au milieu des années 2000, il devient même un phénomène commercial capable de s'écouler à 1,6 million d'unités rien qu'en France, pour l'épisode 6.
PES 5 et surtout PES 6 en 2006 réussissent même à s'imposer comme les produits culturels les plus vendeurs en France, en chiffre d'affaires, devant les films et livres Harry Potter. La série d'Electronic Arts, elle, vit dans son ombre. « FIFA 07 était une bouse, il était catastrophique », juge même Sebastian Enrique, le producteur argentin des FIFA, venu raconter leur lente ascension vers le succès lors d'une conférence à Paris en novembre 2014.
Lorsqu'en 2005, Sony commence à distribuer les premiers prototypes de PlayStation 3, sa nouvelle console, Electronic Arts décide de changer de stratégie. « On s'est demandé quel était l'avenir de la série. On s'est dit que ce serait le onze contre onze en ligne », témoigne l'Argentin, arrivé cette année-là comme programmeur, et aujourd'hui nouveau producteur de FIFA.

La « remontada »

FIFA 08 introduit le mode « Deviens pro », qui place le joueur dans la peau d'un unique footballeur, là où la tradition est de diriger l'équipe entière. Les consommateurs avertis de jeux de football commencent à changer de maillot. « FIFA 09, c'était le prolongement de PES, j'avais l'impression de jouer au même jeu, il y avait un peu de ce feeling arcade [style de jeu qui donne la priorité à la simplicité et au spectacle] », analyse Bruce Grannec, multiple champion du monde de PES et de FIFA.
Fidèle à sa ligne, l'équipe d'EA Vancouver continue sa mue. L'équipe introduit le dix contre dix dans FIFA 09, puis peaufine les réglages de la simulation dans l'épisode 10. « C'est le moment où les gens ont commencé à dire que FIFA était devenu meilleur que PES », se félicite Sebastian Enrique. « Chaque épisode est devenu plus axé simulation, la défense a pris le pas sur l'attaque, c'est devenu plus dur de marquer », confirme Bruce Grannec, qui comme beaucoup d'autres, déserte les tournois de PES pour ceux de FIFA.

Dans FIFA 11, EA introduit le onze contre onze en ligne. EA

FIFA 11 marque le moment symbolique où l'équipe canadienne réalise enfin son défi. « Nous sommes arrivés à notre idée de départ, le onze contre onze, en introduisant le gardien. On savait que peu de gens le joueraient, mais ça a été un succès », se félicite le producteur. Le rapport de forces avec PES s'est complètement inversé, et dans l'ombre de Call of Duty, jeu le plus médiatique et le plus vendu de la période, FIFA voit sa communauté chaque année s'agrandir un peu plus.

« J'espère que "PES" réussira son retour »

Le titre n'est pourtant pas parfait. Ses menus sont lourds, certaines réactions physiques un peu curieuses, et le jeu en ligne est régulièrement gâché par des comportements irrespectueux, comme des déconnexions volontaires dès qu'une défaite prend forme. Rien qui n'empêche la série de continuer à progresser dans les ventes, pour la sixième année consécutive.
« Ils ont pris le dessus en matière de réalisme. Ils ont des moyens impressionnants à Vancouver, des équipes importantes et un moteur de jeu plus avancé », analyse Bruce Grannec, qui a eu l'occasion de visiter leurs vastes studios entourés de terrains de sport.
Tombé d'1,6 million de ventes en 2006 à moins de 300 000 en 2013, la série concurrente est la principale victime de ce phénomène commercial. Chez EA, Sebastian Enrique se veut beau joueur – et taquin. « J'espère vraiment que PES réussira son retour, ose même le producteur argentin. Ça me permettra de demander des effectifs supplémentaires pour faire un jeu encore meilleur. » En attendant, oyez olives, huile piquante et parmesan : la seconde mi-temps du match peut commencer.

William Audureau 
Journaliste au Monde